Acheter un bien en viager, une solution immobilière pertinente ?
De l’ancien français viage signifiant « durée de la vie », « temps de vie », le viager est un procédé de transaction, une formule permettant de vendre (pour le propriétaire) et/ou d’acheter (pour l’acquéreur) un bien immobilier.
Processus assez méconnu, si ce n’est dans l’imaginaire collectif comme une solution potentiellement délicate, quand ce n’est pas jugée malsaine, puisque basée in fine sur la mort d’une des deux parties, le viager présente en réalité un intérêt pour le vendeur - qui, de fait, devrait enlever tout scrupule, sentiment d’immoralité, à l’acquéreur - et pour ce dernier une opportunité d’achat… risquée, puisque basée sur un aléa, une inconnue, mais néanmoins susceptible d’être appréhendée rationnellement, donc dans une certaine mesure maitrisée.
Cela n’implique pas, bien sûr, que cette modalité d’acquisition doit être considérée comme LA solution pour acheter (a fortiori si l’on veut pouvoir profiter immédiatement de son nouveau logement), investir dans la pierre, y compris dans des marchés tendus où l’offre de biens immobiliers s’avère insuffisante par rapport à la demande et, de facto, où les prix pratiqués y sont élevés, voire très élevés… à tel point qu’ils empêchent même parfois de se projeter sur une future habitation, d’envisager de devenir propriétaire.
Reste que ce constat d’une accessibilité au logement toujours plus délicate, couplée à des problématiques démographiques synonymes essentiellement d’un vieillissement de la population et des conséquences négatives en résultant pour le financement des retraites, d’une pension de retraite acceptable pour vivre décemment, invite - que l’on soit vendeur ou acquéreur - à réfléchir à ce mode alternatif de transaction immobilière, à l’approfondir pour en connaitre les tenants et aboutissants juridiques et, le plus concrètement possible, en mesurer les avantages et inconvénients.
Petite histoire du viager.
Le viager a des origines anciennes.
Historiquement, connu dans son principe sous les empires babylonien, égyptien et romain, ce procédé de vente est introduit en France dans la deuxième moitié du IX siècle (selon les historiens en l’an 876) par Charles II.
Il se développera alors, par étapes successives, sous les règnes de différents monarques pour, au final, être réglementé dans sa forme moderne par le Code civil de 1804.
Son régime juridique a donc plus de 200 ans et, aujourd’hui encore, ce dispositif d’achat peut se résumer - très schématiquement - en un contrat passé entre un vendeur et un acquéreur aux termes duquel le premier dit crédirentier va percevoir une rente in perpetuum… donc jusqu’à son décès.
La rente…
Consistant en un revenu périodique, cette rente est versée par l’acheteur, communément dénommé débirentier, de façon mensuelle, trimestrielle ou annuelle.
Elle est calculée sur la base de la valeur foncière du logement à l’instant de la signature du contrat signé chez le notaire et l’espérance de vie du vendeur « calculée », tout au moins envisagée, en règle générale à partir de la moyenne résultant des données de l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE), en l’occurrence pour les dernières tables de mortalités connues (à la fin de l’année 2021) : 85,4 ans pour les femmes et 79,3 ans pour les hommes.
Plus la personne vendant en viager sera jeune (sexes masculin et féminin confondus, les recensements indiquent tous globalement que l’âge moyen des vendeurs crédirentiers gravite autour de 79 ans environ), donc a priori - statistiquement au moins - avec une espérance de vie grande, plus la décote pour établir le prix sera importante.
Par ailleurs, concrètement, la rente est révisable chaque année sur la base d’une clause d’indexation intégrée au contrat de vente et permettant de faire varier la rente dans les mêmes proportions que l’indice choisi à cet effet. Il s’agira le plus souvent de l’indice des prix à la consommation ou de l’indice du coût de la construction.
Lorsqu’une telle clause n’est pas expressément stipulée, une révision légale s’applique sur la base d’un coefficient publié, chaque année, dans le cadre du vote de la loi de finances.
… et le bouquet.
Il est à noter que le plus souvent ce contrat prévoit aussi au départ - en sus de la rente précitée - le versement d’un capital, appelé bouquet.
Il s’agit d’une somme d'argent, également déterminée librement entre les parties, versée comptant lors de la signature de l'acte de vente chez le notaire.
Venant en déduction du capital sur lequel la rente est calculée, plus ce bouquet, perçue immédiatement par le crédirentier, s’avère significatif et plus la rente, le revenu mensuel, sera « faible ».
A l’inverse, en présence d’un bouquet minime, voire inexistant, la rente sera proportionnellement « élevée », supérieure.
Entre le vendeur et l’acheteur, le futur crédirentier et le futur débirentier, les discussions ont lieu fondamentalement à ce niveau.
En moyenne, selon le recoupement des chiffres connus, le bouquet représente environ 30% du prix d’achat global. La part essentielle de la valeur du bien est donc constituée par la rente qui en effet, en principe, intéresse plus les vendeurs qui, vieillissants, craignent souvent de ne plus pouvoir à moment donné subvenir à leurs besoins essentiels.
Ils privilégient donc, afin de sécuriser autant que possible la fin de leur existence, une récurrence de revenus complémentaires, pouvant qui plus est être indexés et ce faisant adaptés à l’évolution du coût de la vie, à une éventuelle inflation (voir infra).
Il n’est pas inutile de conseiller ici le recours à l’expérience d’un professionnel de l’immobilier pour que la négociation aboutisse au mieux dans l’intérêt des deux parties. Il permettra de faciliter la transaction, ne serait-ce que parce que cet expert aura initialement évalué avec pertinence, objectivement, au juste prix, la valeur du bien en tant que tel.
Notons du reste - dans cette évaluation, appréciation générale - que le montant de la rente et du bouquet est aussi largement fonction du fait que le viager peut être occupé ou libre.
Viager occupé ou viager libre.
La première situation (plus de 70% des cas) signifie que le vendeur, bien qu’ayant cédé son bien à l’acquéreur, en conserve la jouissance au moyen d’un usufruit ou d’un droit d’usage et d’habitation (DUH défini dans les articles 625 et suivants du Code civil), l’occupe s’il le souhaite jusqu’à son décès.
La seconde situation implique que le débirentier prend possession immédiatement du bien cédé, peut l’occuper (ou le louer) dès la signature de l’acte de vente, donc sans avoir à attendre le mort de son crédirentier.
Un contrat aléatoire, condition sine qua non de sa validité.
En toute hypothèse, le viager est un contrat « aléatoire » puisque la durée de vie du vendeur est, par définition, inconnue ; de sorte qu’au moment de l’acte notarié aucune des parties ne sait à quel montant le bien sera finalement acquis, puisque ce prix d’achat dépendra de la date du décès du vendeur.
Le principe d’aléa est même consubstantiel à la vente en viager, une nécessité sans laquelle celle-ci peut être annulée. Il en ira notamment ainsi si le vendeur, malade lors de la signature de l’acte de vente, vient à décéder de sa maladie dans les vingt jours qui suivent la date du contrat (article 1975 du Code civil).
L’aléa, le risque, peut par ailleurs être double dans la mesure où la rente viagère peut être constituée sur « deux têtes » et pas seulement sur une personne (près de 80% des viagers portent toutefois sur une tête) ; tel sera le cas par exemple d’un couple de retraité qui opte pour une vente viagère.
Dans cette hypothèse, il est quasi systématiquement prévu lors du contrat de vente qu’en cas de décès d’un des deux membres du couple, le survivant continue à jouir de la rente ; la réversion de ce revenu à son profit obligeant donc encore, jusqu’à sa fin de vie à lui également, le débirentier.
Avantages et inconvénients du viager.
L’image d’Épinal forgée, notamment, depuis 1972 - il y a donc juste 50 ans - par la sortie au cinéma de la comédie alors à succès « Le viager » où les acquéreurs d’une maison dans un petit village de pêcheurs - Saint-Tropez - voit leur encombrant vendeur (incarné par le jubilatoire Michel SERRAULT), au fils des ans, toujours et encore en parfaite forme, échappant à toutes leurs macabres tentatives d’élimination… (celui-ci devenant même centenaire à la fin du film, voyant s’éteindre un à un ceux qui avaient misé sur sa disparition) s’avère bien sûr caricaturale.
Bien que grossissante, elle reflète néanmoins une réalité : le risque que prend l’acheteur, le débirentier, vis-à-vis du bénéficiaire de la rente, le crédirentier, qui va percevoir les arrérages de cette rente à vie.
Les avantages du viager pour le crédirentier.
Pour le sénior qui y recourt, le viager permet de vivre plus longtemps dans sa demeure, de conserver repères et habitudes, de continuer à prétendre à une qualité de vie agréable en raison d’un pouvoir d’achat non amputé par le départ en retraite puisque disposant alors d’un revenu complémentaire, d’une retraite améliorée par la rente mensuelle perçue.
Cet aspect sociétal du viager (au-delà donc du fait même que c’est le vendeur qui est demandeur, qui aspire à devenir un crédirentier car il y trouve un intérêt économique personnel, direct) ne doit pas être perdue de vue par l’acquéreur qui hésite à s’y engager (par crainte du « quand dira-t-on », culpabilité de miser en quelque sorte sur la mort de son prochain). Cela est tellement vrai que les pouvoirs publics y voient une des solutions pour améliorer le sort des séniors comme en atteste, par exemple, l’action de la Caisse des Dépôts et Consignations qui a créé en 2014 le « fonds viager Certivia » dont l’objectif - collectif, politique - est d’améliorer le pouvoir d’achat des retraités français, favoriser leur maintien à domicile.
Cette dimension socio-économique a d’ailleurs tendance à s’amplifier car beaucoup de personnes âgées - sans cesse plus nombreuses en France - ne veulent pas finir leurs jours en maison de retraite (perçues parfois, à tort ou à raison, comme des « mouroirs » ; la crise sanitaire des deux dernières années ayant elle-même accentuée ce phénomène de rejet) et/ou ne peuvent pas financièrement assumer le cout d’un Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (incompatible avec leurs retraites).
Leur permettant de rester chez elles, au moins un temps, surtout quand un système d’aide à domicile s’avère possible le moment venu (service plus en plus développé dans les grandes agglomérations), le viager apparait comme une alternative à ce transfert - couteux - en EHPAD.
Inversement, pour les anciens qui sont demandeurs d’une entrée en maison de retraite - y voyant un lieu médicalisé, plus sécure pour eux, un moyen aussi d’être moins isolé -, la vente de leur bien en viager (libre dans cette hypothèse et donc financièrement plus intéressante pour eux en termes de rente escomptée) peut s’avérer une solution efficace de financement d’un EHPAD.
Et, au-delà de toutes contingences sociales, de politiques publiques, si l’on en revient à un strict point de vue individuel, personnel, l’intérêt financier côté vendeur est d’autant plus réel que ce dernier ne supportera plus la taxe foncière (cet impôt passant à la charge de l’acquéreur). Assimilé dans le cadre d’un viager occupé à un locataire, il ne sera tributaire - s’il en est encore concerné - que de la taxe d’habitation.
Pour un appartement en copropriété, le crédirentier n’aura pas non plus à régler les travaux importants à réaliser dans l’immeuble votés en Assemblée Générale.
Sur cette ligne budgétaire, ce crédirentier bénéfice en matière d’impôt sur le revenu (auquel la rente viagère est soumise) d’un abattement substantiel qui varie en fonction de son âge au moment où il se voit octroyer le premier versement de la rente.
De sorte que seule une fraction de cette rente est imposée, en l’occurrence sur les bases suivantes :
- 70 % pour un premier versement à moins de 50 ans (rare),
- 50 % pour un premier versement de 50 à 59 ans,
- 40 % pour un premier versement de 60 à 69 ans,
- 30 % pour un premier versement à plus de 69 ans (hypothèse la plus courante).
Plus le vendeur est âgé, moins sa rente sera donc imposable… c’est là l’esprit même du viager dans sa fonction sociale sus-évoquée : faire en sorte que les séniors aient une fin de vie la plus digne possible d’un point de vue financier, la moins soumises aux conjonctures économiques, aux retraites souvent insuffisantes.
De son côté, le bouquet obtenu est exonéré d’impôt.
Fiscalement, la vente en viager est également soumise à un régime identique à celle d’une vente ordinaire pour une résidence principale ; en l’occurrence, dans ce cas, une exonération totale d’éventuelle plus-value.
Par ailleurs, si telle est la volonté du vendeur, un de ses objectifs familiaux, le viager lui permet d’aider financièrement ses descendants (
certains vendeurs en viager en ont, contrairement aux idées reçues laissant à penser que ce dispositif ne concerne que les personnes sans héritier ou des héritiers très/trop éloignés) de son vivant puisque ayant, le cas échéant, perçu un bouquet et, en toute hypothèse, bénéficiant d’une rente mensuelle, de revenus plus conséquents. Il leur évite également les frais de succession qu’ils auraient eu à supporter à sa mort.
Alors que dans ce cas de figure d’une présence d’héritiers, la décision de vendre en viager est de prime à bord parfois mal comprise de l’entourage familial concerné par l’héritage… en réalité - outre qu’elle est certes souvent ici aussi motivée par la nécessité pour le vendeur de se mettre à l'abri du besoin - elle peut donc être un outil stratégique, trouvant une justification purement économique/financière de transmission patrimoniale optimisée, d’aide économique plus immédiate, durant le vivant même de celui qui veut donner, léguer et voir ainsi les siens mieux vivre matériellement le présent.
Notons enfin que dans le cadre d’un viager occupé, si le crédirentier décide, quelle qu’en soit la raison, de renoncer à son droit d’usage et d’habitation (
DUH), une clause d’augmentation de la rente peut être incluse dans le contrat initial visant à compenser pour lui la perte du bénéfice de son domicile.
Les avantages du viager pour le débirentier.
Quand bien même il tend à se développer en France et de façon générale en Europe, où les populations sont vieillissantes, le viager reste encore relativement confidentiel (une image relativement désuète et un certain voile moralisateur lui collent à la peau), s’avère toujours un marché de niche (environ 6000 transactions par an sur l’ensemble du territoire, donc très loin comparativement des quasi 1 200 000 enregistrées pour 2021 pour les ventes traditionnelles).
De sorte que pour ceux qui ont la curiosité (a minima) de s’y intéresser, la concurrence n’y est pas à ce jour aussi forte (c’est peu de le dire) que sur celui du secteur de la transaction immobilière classique.
Aussi, à défaut de prétendre acheter à bas prix, pouvoir faire « un coup », il est possible en revanche d’acquérir un appartement ou une maison sans subir la frénésie (parfois/souvent) des marchés les plus prisés, sources de potentielles irrationalités.
A ce titre au moins, le viager s’affirme donc comme un plus, une solution/alternative supplémentaire d’achat, une opportunité à ne pas sous-estimer puisqu’il permet d’entrevoir un accès à la propriété dans les marchés si tendus que la hausse des prix immobiliers rend - dans les faits - l’accessibilité traditionnelle au logement quasi impossible, sauf à avoir la capacité de s’endetter lourdement.
En effet, y compris dans les zones géographiques les plus chères (PARIS et l’Ile de France, la Côte d’Azur entre CANNES et NICE, certaines stations balnéaires comme BIARRITZ et ses environs, les plus grandes agglomérations françaises à l’instar de MARSEILLE, LYON, TOULOUSE, BORDEAUX, LILLE, NANTES, STRASBOURG ou RENNES), acquérir une résidence principale pour ses vieux jours n’est plus utopique puisque :
- celle-ci est évaluée avec une décote significative liée à son usage par le vendeur (dans le cadre le plus usuel du viager occupé),
- et il n’est pas nécessaire de recourir au crédit bancaire (qui a forcément un coût y compris si les taux d’intérêts - lorsque c’est le cas - sont bas) dans la mesure où l’acquéreur débirentier bénéficie tout de même d’un paiement échelonné dans le temps, « comme » avec un prêt, mais sans les coûts financiers associés.
Bien sûr, encore faut-il avoir des revenus suffisamment importants pour envisager le versement d’une rente mensuelle qui demeurera néanmoins non négligeable si le bien acquis vaut, intrinsèquement, cher en raison de son emplacement de qualité, de sa surface, de ses prestations, etc.
Dans une perspective plus « modeste », le viager permet aussi de se constituer un « petit » patrimoine afin de sécuriser sa retraite, de bénéficier pour cette période de « fin » vie d’un complément de pension résultant des loyers qui seront perçus suite à la mise en location de l’appartement ou de la maison rendue possible par la mort du crédirentier.
De façon immédiate lors de l’acquisition, le viager offre également des avantages fiscaux puisque les frais dits de notaire (
les droits de mutation que cet officier ministériel collecte) sont moindres que lors d’un achat classique, tout au moins dans l’hypothèse d’un viager occupé.
Effectivement, dans ce cas (
le plus habituel) le bien est vendu pour une valeur moindre : en l’occurrence, la valeur vénale intrinsèque de l’appartement ou de la maison décotée de sa valeur d’occupation (
DUH : droit d’usage et d’habitation), soit
in fine la valeur de la nue-propriété (
éléments servant à établir/fixer le bouquet et la rente, voir supra).
Et pour calculer les « frais de notaire » (
toujours un pourcentage de la valeur vendue du bien), il conviendra de prendre pour base - seulement - la valeur de la nue-propriété (
le DUH précité est conservé par le vendeur, donc ne doit pas être soumis au frais de notaire réglés par l’acquéreur qui, logiquement, ne paye de l’impôt que sur les droits cédés à son bénéfice avec le logement).
A l’inverse, pour un viager libre (
dont l’acquéreur va pouvoir user à sa guise : l’habiter ou le louer), le logement est vendu au titre de sa pleine valeur vénale et cette fois les frais d’acquisition sont donc calculés sur la valeur totale du bien acheté.
Autre avantage, tout au moins dans le cadre d’un viager occupé (
hypothèse encore une fois la plus fréquente), le débirentier n’a pas à sa charge la gestion du bien acquis ni les couts basiques résultants de son utilisation quotidienne puisque c’est l’occupant - contrepartie logique de son usage - qui se doit de l’entretenir, d’acquitter les charges minimes afférentes à son emploi régulier.
Le crédirentier va donc supporter les charges courantes - de copropriété notamment -, les petites dépenses d’entretien, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères et la taxe d’habitation (
lorsqu’elle est encore applicable).
Il en ira inversement en présence d’un viager libre (
statistiquement rare) où l’acquéreur assumera alors l’ensemble des charges… mais ni plus ni moins que dans le cas d’une acquisition classique avec donc, alors, l’avantage pour lui de bénéficier d’un logement, de pouvoir en jouir à sa guise.
Les inconvénients du viager pour le crédirentier.
Contrepartie de l’aléa, du risque que prend l’acheteur de payer in fine un bien à un prix plus élevé qu’il ne vaut, le crédirentier prend celui de le vendre moins cher que ce qu’il aurait pu en retirer dans le cadre d’une vente à un instant T, où sa valeur aurait été celle du marché, car il décède trop tôt pour avoir atteint (en cumulant le bouquet et les rentes perçues) le montant correspondant à sa valeur intégrale le jour de la signature du contrat de viager.
Reste qu’en raison de son trépas… cet inconvénient parait surtout théorique.
En revanche, plus concrètement, en cas de retard de paiement de la rente dont il est bénéficiaire, le crédirentier peut se trouver en difficulté financière (surtout si le bouquet initial a été d’un montant faible et/ou que cette somme d’argent a dû être utilisée). D’où la nécessité de prévoir dans le contrat de vente - car cette protection, cette sécurité, ne découle pas de la loi - des intérêts de retard d’une part, et qui courront d’autre part de plein droit, sans mise en demeure.
A un stade encore supérieur de négligence du débirentier, à savoir le non-paiement de la rente, le crédirentier ne pourra mettre fin au viager, redevenir propriétaire, que sous réserve, là aussi, d’avoir été vigilant au moment de la signature du contrat de vente en y intégrant une clause résolutoire pour défaut de paiement (dans ce cas de résolution de la vente - appréciée par le juge afin de vérifier, par exemple, qu’elle n’est pas disproportionnée par rapport aux manquements de l’acquéreur -, le crédirentier pourra conserver les sommes déjà perçues en application de la clause pénale prévue, si tel est le cas, au contrat).
Les désagréments relatés dans ces deux hypothèses sont cependant relatifs car ils peuvent être anticipés via les conseils en amont d’un professionnel qui connait parfaitement les tenants et aboutissants juridiques du viager.
Sur ce point, comme au demeurant assez souvent en immobilier (où les sommes d’argents en jeu sont importantes, où il est régulièrement question de véritable projet de vie), les conseils d’un expert seront les bienvenus… mais peut-être même plus encore en matière de viager.
En premier lieu car ce type de vente n’est pas forcément connu, loin sans faut, dans toutes ses spécificités, y compris par les professionnels qui réalisent régulièrement des transactions immobilières classiques.
En second lieu parce qu’une des deux parties au contrat s’avère être le plus souvent âgée, inactive et potentiellement plus vulnérable qu’une personne jeune, dans la vie active. De sorte que le consentement du futur crédirentier doit être éclairé au maximum, son projet de vente en viager le plus sécurisé possible.
Enfin, notons comme inconvénient l’hypothèse d’un crédirentier qui, encore dans la force de l’âge, en capacité de se projeter, souhaiterait déménager, quitter l’appartement ou la maison qu’il a vendu en viager.
S’il n’a pas de trésorerie suffisante, une épargne, des économies substantielles (et souvent, côté vendeur, le viager sert à pallier des retraites modestes, des situations peu fortunées), il ne pourra pas bénéficier du prix de revente de son logement - mode de financement le plus coutumier - pour en acheter un nouveau.
Les inconvénients du viager pour le débirentier.
Les inconvénients « mineurs » du viager pour le débirentier sont souvent l’image inversée des avantages dont bénéficie le crédirentier.
Par exemple, dans le cadre usuel d’une vente en viager occupé où le vendeur conserve donc son droit d'usage et d'habitation, la taxe foncière (
nous l’avons vu) est à la charge du débirentier.
Il en va de même en matière de financement des travaux les plus lourds qui devront être engagés au fil des ans pour la préservation et l’entretien du bâti, qu’il s’agisse d’une maison ou d’un immeuble en copropriété ; raison pour laquelle en matière de travaux, l’acte de vente doit prévoir une répartition au plus juste, les obligations précises de chacune des parties… en vue d’éviter d’éventuels conflits ultérieurs.
Et à cet égard, en amont de l’achat du bien en viager (
comme du reste pour toute acquisition immobilière : résidence principale, secondaire ou investissement), l’étude fine de son environnement, s’avère donc indispensable, implique une expertise certaine…
a minima afin de pouvoir identifier dans quelle mesure un ravalement de façade, l’état d’une toiture, la réfection des parties communes, les mises aux normes éventuelles d’électricité, d’ascenseur, d’isolement du bâti, de chauffage collectif, etc. sont/seront à envisager ou pas, et dans l’affirmative dans quel délais et « approximativement » pour quels montants.
L’inconvénient majeur pour l’acquéreur d’une vente viagère - objet de toutes les attentions - résulte de l’aléa fondamental caractérisant ce contrat, et donc du risque principal en découlant (
que d’aucun qualifie de risque de longévité), d’acquérir un bien plus cher que ce qu’il vaut, de verser au total une somme d’argent supérieure à celle qui aurait été réglée dans le cadre d’une acquisition traditionnelle.
Cela car le vendeur crédirentier aura une existence plus longue que ce qu’elle « aurait du » statistiquement être, son espérance de vie - base des calculs théoriques du débirentier pour fixer la rente et le bouquet - étant dépassée.
Par voie de conséquence, en raison de cette longévité du vendeur (
par nature immaitrisable), le viager n’aura pas été aussi rentable que ce qui était escompté au départ, voire même totalement infructueux.
Le cas de la doyenne (
pendant longtemps) des Français, Jeanne CALMENT (
qui disparait à l’âge canonique de 122 ans…), demeure ici dans les mémoires : alors qu’elle avait cédé en viager son logement à l’âge déjà avancé de 90 ans, l’acquéreur - en l’espèce son notaire - est décédé avant elle…
Et dans ce cas de figure - aussi célèbre qu’exceptionnel toutefois -, la mort du débirentier entraine la transmission de ses obligations à ses héritiers, donc le devoir pour eux d’acquitter la rente… jusqu’au décès du crédirentier.
Au-delà de ce cas extrême, le caractère rentable ou non d’un achat en viager étant donc soumis - en toute hypothèse - à l’aléa absolu que constitue la date de décès du vendeur, prédire une « bonne affaire » financière, spéculer sur un achat final à un montant inférieur que la valeur du marché à un instant T, est intrinsèquement impossible.
Reste que minimiser cet inconvénient, maitriser un tant soit peu ce risque, s’avère dans une certaine mesure envisageable :
- Bien sûr, en signant un contrat de viager dont la rente et le bouquet (au regard de la valeur intrinsèque du bien, de l’âge du vendeur, du fait que le bien soit libre ou occupé, etc.) sont calculés rationnellement.
- Relevant encore plus de l’évidence, en achetant un bien auprès d’une personne plus âgée ; au moins une génération d’écart ou, plus « surement », en raisonnant sur la date de sa propre arrivée en retraite. L’idée ici étant d’éviter, autant que faire se peut, de continuer à payer une rente alors même que les revenus que l’on perçoit sont désormais moindres, que l’âge atteint s’avère désormais, pour soi-même, relativement significatif.
- En s’intéressant au profil sociologique, au statut social du vendeur, puisque d’un point de vue purement statistique, les chiffres de l’INSEE révèlent qu’en France - avec ou sans diplôme - plus une personne est aisée, l’aura été durant sa vie active, plus son espérance de vie est/sera élevée. En ce sens, entre 2012 et 2016, parmi les 5% des hommes les plus riches, l’espérance de vie à la naissance est de 84,4 ans, contre 71,7 ans parmi les 5 % les plus pauvres, soit 13 ans d’écart. Pour les femmes, sur la même période, cet écart entre les plus aisées et les plus modestes est de 8 ans. Il ne s’agit là bien sûr que de moyennes… mais ces chiffres, aussi injustes soient-ils du reste, se matérialisent bel et bien dans la réalité, dégagent une tendance.
- En stipulant expressément dans le contrat (car elle n’est pas obligatoire et automatique) une clause de rachat - dite parfois aussi de « réquisition » - permettant au débirentier de se libérer de son obligation de versement de la rente, en particulier si le crédirentier vit au-delà d’une certaine période qui aura donc été mentionnée dans le contrat et exprimée en nombre d’annuités. Dans ce cas de figure, l’acquéreur devra verser au vendeur un capital correspondant au montant restant de la rente, ou bien solliciter le cas échéant un organisme s’engageant à la verser régulièrement à sa place.
- Pour ce qui est des acquéreurs investisseurs, en ayant la capacité financière de se positionner sur plusieurs biens immobiliers à la fois… C’est ce que font, peuvent faire, certains investisseurs fortunés, des foncières importantes. En multipliant les achats en viager, de façon purement arithmétique, ils/elles perdront peut-être sur tel ou tel bien (au final acheté trop cher) mais gagneront sur tel ou tel autre (acquis à une valeur inférieure par rapport à ce qu’aurait permis un achat standard). La probabilité que s’opère un équilibre entre les pertes (le risque de perdre) et les gains (la chance de gagner) est de la sorte grandement majorée.
Il n’en demeure pas moins que cette approche spéculative vaut, avec toutes les réserves habituelles, uniquement pour les projets d’investissements purs et, comme souvent en matière immobilière, ne profite qu’à ceux, privilégiés, ayant une assise financière de départ conséquente.
La donne est en effet tout autre pour un investissement visant « simplement », le moment venu, à un complément de retraite, et
a fortiori pour l’achat - au long cours - d’une future résidence principale.
Le risque est ici fondamentalement présent… mais il fait partie de la vie.
A cet égard, le rapport à celle-ci et à la mort - qui en est l’étape ultime - étant bien sûr intime, d’ordre philosophique et/ou religieux pour certains, il n’est bien évidemment pas question pour nous - en soi, dans l’absolu - de conseiller ou de déconseiller le viager, de le promouvoir ou au contraire de le critiquer.
Mais en s’en tenant à un strict point de vue immobilier, en s’efforçant à ce niveau basique de peser le plus objectivement possible le pour et le contre, en dehors de toutes considérations métaphysiques ou ontologiques, ou même plus terriennes en écartant l’idée d’une loterie (
aux accents) macabre, d’un jeu de hasard « morbide », peut-être pouvons-nous avancer que bien plus qu’un pari sur la mort, le viager est, en réalité, un pari sur la vie…
Une vie meilleure… tant pour le sénior crédirentier jusqu’à la fin de ses jours que pour le (
plus ou moins) jeune débirentier lorsqu’il deviendra lui-même sénior et entrera alors à son tour, inexorablement, dans son dernier cycle de… vie.
E. MASSAT - Chasseur Immobilier Domicilium
Publié le mercredi 01 juin 2022